FIFM : Frankenstein ou le monstre comme miroir de l’âme selon Guillermo del Toro

Depuis 4 heures
Présenté lors d’une projection spéciale au Festival international du film de Marrakech (FIFM), Frankenstein de Guillermo del Toro s’impose comme une œuvre-somme, à la fois testament artistique et déclaration d’amour au monstre. Porté par une vision profondément émotionnelle, le film dialogue directement avec les propos tenus par son réalisateur lors d’une table ronde nourrie, où il a longuement défendu l’imperfection, l’émotion et la nécessité de réhabiliter nos parts d’ombre. Frankenstein raconte l’histoire de Victor Frankenstein, un savant animé par une quête obsessionnelle : comprendre le mystère de la vie et repousser les limites de la mort. En assemblant des fragments de corps et en leur insufflant une force vitale, il donne naissance à une créature qu’il est incapable d’assumer. Rejeté dès sa création, le monstre découvre le monde dans la solitude et l’incompréhension. Doté d’une sensibilité profonde, il cherche désespérément sa place parmi les humains, mais se heurte à la peur, au rejet et à la violence. À mesure que son isolement grandit, son innocence se fissure, laissant place à la souffrance et à la colère. Le récit explore la relation tragique entre le créateur et sa création, deux êtres liés par une responsabilité impossible à fuir. Entre ambition, culpabilité et désir d’amour, Frankenstein interroge les frontières entre l’humain et le monstrueux, rappelant que le véritable monstre n’est pas toujours celui que l’on croit. Pour Guillermo del Toro, rien n’est cyclique par hasard. Le retour du cinéma de genre, y compris à la télévision comme au cinéma, répond selon lui à un besoin vital : celui de réintroduire de l’émotion dans un monde devenu trop rationnel. Lors de la table ronde, le cinéaste a expliqué que chaque époque froide, mécanisée ou déshumanisée appelle inévitablement un contre-mouvement artistique, où l’émotion reprend ses droits, dans la musique, la mode, la littérature comme dans le cinéma. Frankenstein s’inscrit dans cette dynamique. Le film refuse toute lecture strictement intellectuelle ou démonstrative. Il opère à un niveau plus instinctif, presque primitif, convoquant l’imaginaire du conte, du gothique et de la mythologie. Del Toro assume pleinement cette filiation : pour lui, le fantastique se connecte à l’« id », à ce que nous ne contrôlons pas, mais qui nous définit profondément. L’une des idées les plus fortes exprimées par Del Toro concerne la place de la créature. Contrairement à une tradition où le monstre surgit comme une anomalie dans le récit, Frankenstein est pensé dès son origine pour que la créature paraisse naturellement intégrée à son monde. Chaque décision, a-t-il expliqué, est prise « en faveur de la créature ». Comme un animal placé dans un environnement qui lui permet de croire qu’il est vivant, le film bâtit autour d’elle un écosystème émotionnel et visuel cohérent. Ce choix fondamental modifie totalement notre regard : le monstre n’est plus un intrus, il devient le cœur battant du récit. Cette approche éclaire la douceur paradoxale de nombreuses scènes. Là où le cinéma d’horreur classique cultive la menace, Del Toro privilégie l’intimité. Le geste archétypal du monstre portant une femme, souvent symbole de terreur, devient chez lui un moment d’harmonie presque nuptial. Une relecture qui illustre à quel point son cinéma cherche moins à effrayer qu’à réconcilier. L’imperfection comme acte de résistance Au fil de la discussion, Del Toro a livré ce qui apparaît comme le véritable manifeste de Frankenstein. Dans un monde obsédé par la perfection, les monstres offrent une échappatoire. Ils donnent la permission d’être imparfaits, fragiles, excessifs. « Les monstres ont toujours été pour moi des modèles d’aspiration », a-t-il affirmé, rappelant combien ces figures marginales lui ont permis, enfant, de se projeter dans un imaginaire plus proche de la réalité humaine que celui des héros lisses et infaillibles. Dans Frankenstein, cette idée se matérialise par un regard profondément empathique porté sur la créature. Le film ne cherche jamais à la corriger ni à la rendre acceptable. Il l’accompagne dans sa différence, assumant sa laideur comme une forme de vérité. Une position d’autant plus forte aujourd’hui que l’émotion est souvent perçue comme une faiblesse ou une faute de goût. Del Toro le dit sans détour : il se réjouit d’être « ridiculement émotionnel ». Une posture presque subversive à l’ère de la retenue calculée, de l’algorithme et de l’image maîtrisée. Plus qu’une adaptation, Frankenstein apparaît comme un film profondément autobiographique. « La créature est moi. Victor est moi aussi », a confié le réalisateur. En se reconnaissant dans les deux figures, Del Toro assume la complexité du mythe : celle d’un créateur et de sa création, indissociables, enfermés dans une relation de désir, de rejet et de culpabilité. Cette dimension personnelle confère au film une résonance singulière. Le récit devient celui d’un homme qui, pendant des décennies, a traversé le doute, l’attente et l’échec. Del Toro a rappelé avoir écrit bien plus de scénarios qu’il n’a réalisé de films, passant de longues périodes sans emploi, vivant sa carrière comme un lent accident, ressenti très différemment de l’intérieur que du regard extérieur. Dans ce contexte, Frankenstein apparaît comme une œuvre de foi. Une croyance obstinée dans le pouvoir des récits et dans la capacité des monstres à maintenir l’artiste en vie. La fin d’un style, l’ouverture d’un autre Honoré au FIFM, Del Toro a vu dans cet hommage une coïncidence symbolique. Frankenstein, dit-il, marque la fin d’une période, la conclusion d’un certain langage cinématographique qu’il a longuement exploré. Une clôture douce, presque sereine, qui n’a rien de définitif, mais qui invite au renouvellement. Cette transition trouve un écho particulier dans le cadre de Marrakech. Le cinéaste a salué un festival qu’il décrit comme à la fois international et profondément humain, un espace où l’on vient avant tout dialoguer autour du cinéma, loin des logiques de pur prestige ou de négociation. En définitive, la projection de Frankenstein au FIFM dépasse le simple événement cinéphile. Le film agit comme un miroir tendu à une époque inquiète, qui peine à exprimer ses émotions et à accepter ses contradictions. Guillermo del Toro y rappelle une vérité simple : ce dont on ne parle pas finit par nous contrôler.
Lire la suite sur


INSCRIVEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER QUOTIDIENNE !

Abonnez-vous à notre newsletter quotidienne et recevez toute l'actualité ainsi que les offres exclusives de nos partenaire..